N°16
acrylique sur papier
80/30 cm (dyptique 2x40/30)
2013
16)
« Tu sais, les hommes frappent les portes à s’en briser les poings et c’est juste histoire de vous prouver qu’ils souffrent, qu’ils ont des scrupules.A présent je me moque un peu de tout ça. Rien que des poses. Du bruit. Du vent. A présent, tu sais, j’ai le visage bouffi et la peau blanche d’un vieuxbarman de nuit. Comme je regrette de ne pas t’avoir suivie. Oui mais j’ai toujours eu du mal à prendre les choses en mains. J’ai fait des tas de choix similaires avant.Oui mais j’étais plus jeune, avant. Ilme faut raconter la suite de cette histoire. »
Prairie Wind.6 Avril.
C’était il n’y a pas si longtemps. C’était juste avant de quitter les sentierssalissants mais un peu trop faciles de la jeunesse. Juste avant de rebattre la carte du tendre.C’était juste en sortant du vestiaire de l’enfance. C’était à une époque où tout ce qui importait, voilà, c’était ça : jouer. Juste ça.Jouer et rien d’autre. N’importe où. N’importe comment.Jouer. Nous déporter vers la première aire de jeu disponible. N’importe quel terrain de sport. Oui. C’était il n’y a pas si longtemps. Voilà.
Chaque matin s’annonçait à peu près comme suit. D’un coté Dieu ouvrait la fenêtre. Le diable la refermait de l’autre.Chaque matin s’annonçait en cinémascope. A cette époque, le matin respirait encore après que le réveil ait fini de sonner.Le matin s’amenait même en courant. C’était pour lui la seule façon de ne pas perdre l’équilibre.Et c’est mollement que l’adolescence s’étiraitles viandesau soleil.Et c’est alors que, sans qu’on s’en rende vraiment compte,le soleil s’est mis à déteindre.Et c’est alors que, nées au creux de nos estomacs, remontant avec patience comme une bile, de drôles de questions ont soudain agité nos lèvres.
Pourquoi étions-nous des enfants si gras ?
Pourquoi jamais personne n’exprimaitla vérité toute entière ?
Pourquoi avions-nous l’impression que la vie ça avait toujours consisté à se balader la braguette ouverte ?
Pourquoi la nuit risquait-elle de se faire violer à toute heure du jour ?
Pourquoi les filles du quartier semblaient toutes avoir traversé leur saloperie d’enfance avec une peluche à la tête déchiquetée par le souffle d’une roquette ?
Pourquoi avait-on l’étrange pressentiment que bientôt, très bientôt, on nous enverrait au sous-sol pour subir le tourment de tout un tas d’appareils de torture aux mécanismes très complexes ?
Pourquoi savions-nous déjà que la vie allait filer de plus en plus vite en nous confrontant à des choses de plus en plus graves ?
Pourquoi devrait-on économiser les dix ans de maintenant en prévision des dix ans à venir ?
Pourquoi les garçons trichaient-ils ?
Pourquoi les filles avaient-elles appris à faire semblant ?
Pourquoi la rapidité de la première relation sexuelle avait-elle un impact sur la manière dont on allait,longtemps après,percevoir la qualité du couple ?
Pourquoi certains et pas d’autres se sentiraient-ils très tôt l’obligation de tenir certaines promesses, comme celle d’éparpiller les cendres de leurs ex juste au-dessus du puits que leur perte avait commencé de creuser comme un acide dans leurs âmes ?
Pourquoi les cafés de la jeunesse perdue étaient-Ils, tous plus ou moins, des nids d’espions déguisés en boite de fruits confits ?
Pourquoi les grenouilles étaient-elles satisfaites de se partager tous les nénuphars de l’étang,tandis que, sous l’eau, une inquiétante créature frayait avec nos fantasmes les plus troubles ?
Pourquoi, alors qu’on était tellement hardi au pays du vent, oui pourquoi se mettait-on, du jour au lendemain,à discuter politique avec nos lauriers sauce ?
Pourquoi faudrait-il absolument qu’on mette sur pied notre petite tour de France en cornet de glace ?
Pourquoi la vie et tout son fourbi élastique finirait-elle par nous péter à la gueule ?
Oui. Voilà. C’était il n’y a pas si longtemps. C’était juste avant de quitter les sentierssalissants mais un peu trop faciles de la jeunesse. Juste avant de rebattre la carte du tendre.C’était juste en sortant du vestiaire de l’enfance. C’était à une époque où tout ce qui importait, voilà, c’était ça : jouer.Là que tout à coup une présence a fait tache dans le tableau. Et c’est là qu’on a aperçu cette fille qui errait sur tous lesterrains de sport de notre jeunesse. Elle ressemblait à un fantôme. Et là, tout à coup, les couleurs du jour se sont enfoncées dans la profondeur de la nuit. Alors il a bien fallu commencer à rendre des comptes.